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Définition

Arts de la rue

On désigne communément par le terme « arts de la rue » les spectacles ou les événements artistiques donnés à voir hors des lieux pré-affectés : théâtres, salles de concert, musées… Dans la rue, donc, sur les places ou les berges d’un fleuve, dans une gare ou un port et aussi bien dans une friche industrielle ou un immeuble en construction, voire les coulisses d’un théâtre. De la prouesse solitaire à la scénographie monumentale, de la déambulation au dispositif provisoire, de la parodie contestataire à l’événement merveilleux, les formes et les enjeux en sont variés, les disciplines artistiques s’y côtoient et s’y mêlent.

S’insérer dans le contexte urbain (la campagne aussi est urbaine, aujourd’hui) a plusieurs incidences déterminantes sur les propositions artistiques. La ville est un espace libre et contraignant. Physiquement, elle permet de choisir son territoire, de jouer avec l’environnement. Il y faut aussi se confronter au bruit, à l’encombrement, aux intempéries éventuelles. Socialement, le spectacle s’adresse ensemble aux spectateurs prévenus et aux passants de hasard, au public averti et au public « vierge ». Il importe donc de s’appuyer sur les émotions communes et les cultures partagées. Institutionnellement, l’ordre public a ses limites de tolérance et la programmation engage la responsabilité des élus locaux.

Traditions et héritages

Les « mimes », jongleurs et conteurs, sont attestés à Syracuse et en Grèce. En France, les premiers montreurs d’animaux et autres saltimbanques arrivent dès le XIe siècle. Ils sont « l’accroche » des charlatans et participent aux parades qui annoncent les Mystères ; de statut infâme, ils jouent pourtant dans les châteaux et lors des entrées royales. Comme la liesse participative que l’on imagine associée aux grandes fêtes populaires, religieuses et païennes, ils sont une référence mythique et un réservoir de savoir-faire pour les arts de la rue.

Autre référence : le théâtre forain. Dans les enclos des foires parisiennes, au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, les « baraques » de théâtre jouxtent les loges des marchands. Face aux conflits incessants avec la Comédie Française et l’Opéra, détenteurs du privilège royal, et aux interdictions qui s’ensuivent, les forains développent un répertoire divertissant, souvent parodique, et des modes inventifs de jeu avec le public. L’opposition entre théâtre académique et spectacle populaire est déjà là.

La destruction du « Boulevard du crime » en 1862, lors des travaux d’Hausmann, puis les développements de l’urbanisme et la prolifération de règlements coercitifs ont entraîné la relégation progressive des bateleurs à quelques lieux touristiques.

Les arts de la rue actuels ont aussi des parentés avec les mouvements subversifs ou militants qui ont marqué l’histoire du siècle dernier. Dans la Russie des débuts de la révolution d’Octobre, les artistes quittent les salles closes pour s’adresser directement au peuple et participer à la transformation de la société. L’agit-prop (« agitation-propagande ») se formule en grandes manifestations éducatives et en spectacles d’intervention dans les usines ou sur les places. Les thèmes s’inspirent de l’actualité, les formes empruntent au cirque, au cabaret, au journal vivant, les acteurs professionnels sont associés aux amateurs et sollicitent les réactions du public. L’Allemagne et la France de l’entre-deux guerres connaîtront des tentatives de ce genre, évidemment moins officielles. Plus près de nous, les « théâtres de guérilla » des années 60 aux Etats-Unis, Bread & Puppet, San Francisco Mime Troup, Teatro Campesino, sont aussi l’expression d’un engagement, en particulier contre la guerre du Vietnam et dans le soutien aux luttes des ouvriers agricoles. Le festival de Nancy les fera connaître en France.

Les refondateurs des arts de la rue en Europe savent cette histoire. Ils ont lu Rousseau et Antonin Artaud. Ils connaissent moins les plasticiens en rupture de musée et de marché de l’art qui, dans l’avant-68, ont choisi l’éphémère et l’espace public pour manifester une contestation plus existentielle que politique.

Des « nouveaux saltimbanques » au « Temps des arts de la rue ».

Début des années 70. Les pavés sont retombés, pas l’énergie. Des artistes un peu trublions veulent ne pas disjoindre l’art et la vie et conjuguent les préoccupations sociales et le goût de la fête, de la dépense au sens où l’entendait Georges Bataille. Ils se nomment « nouveaux saltimbanques » (des tendances analogues existent en Italie avec le Tiers Théâtre, aux Pays Bas avec les Festivals of Fools, en Espagne avec La Fura dels Baus et les Comediants). Parmi ces « pionniers », on peut citer Le Puits aux Images, Le Palais des Merveilles, Théâtracide, le Théâtre de l’Unité, le Théâtre à Bretelles, Ritacalfoul… Leurs spectacles revisitent joyeusement les traditions foraines et carnavalesques, la chanson des rues, le cirque… En effraction voire en infraction dans les rues, ils sont bienvenus dans certaines fêtes associatives ou politiques. En 1973, Jean Digne, alors directeur du théâtre municipal, leur offre un territoire en créant « Aix, ville ouverte aux saltimbanques ».

L’organisation par Michel Crespin de La Falaise des Fous à Chalain, dans le Jura, en1980, est un autre événement fondateur. Invité par Fabien Jannelle, qui dirigeait le Centre d’Action Culturelle de Marne-la-Vallée, à établir son campement de nomade dans le chantier de la Ferme du Buisson, Crespin y crée en 1983 l’association Lieux Publics et, dans la foulée, l’éphémère revue du même nom, les Rencontres d’Octobre et le Goliath, ainsi que plusieurs spectacles qui matérialisent son credo : « La ville est une scène à 360 degrés ». En 1986, Lieux Publics sera promu premier Centre national de création « pour les lieux publics et les espaces libres ».

Ces années 80 sont décisives. Les compagnies aujourd’hui reconnues (Royal de Luxe, Ilotopie, Generik Vapeur, Transe Express, Oposito, la Compagnie Off, Délices Dada, Kumulus…) se structurent et affirment leurs options artistiques, avec chez certaines une prédilection pour les déambulations spectaculaires et les scénographies monumentales. Dans le même temps, les élus de certaines villes font appel à elles pour (re)créer de la convivialité et toucher des publics étrangers aux arts « élitaires ». A Tours, Aurillac, Chalon, Sotteville-lès-Rouen, Brest, naissent les festivals qui prolifèreront au cours des décennies suivantes.

Le mouvement ne s’est pas ralenti. De nouvelles générations sont apparues (KomplexKapharnaüm, Ici-Même, Deuxième Groupe d’Intervention, Ex Nihilo…) qui prolongent, mettent en doute, renouvellent les acquis. Parmi les tendances récentes, on pourrait noter la relation à l’intime, l’appui sur la parole quotidienne des habitants d’un quartier, le regard critique porté sur l’aménagement urbain, le recours délibéré aux technologies contemporaines. Révolue l’époque de la contestation sauvage, de l’animation bon enfant et de la simple opposition entre « salle » et « rue », les questions se posent maintenant en termes de choix artistiques.

Sylvie Clidière

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